La privatisation des rues à Paris pose de nombreuses questions

Dans le 12e, les habitants de la rue Crémieux souhaitaient privatiser leur allée pour empêcher les instagrameurs de prendre des photos. Face au refus de la mairie, une solution alternative est envisagée : l’installation d’une grille. Une forme de privatisation qui ne dit pas son nom déjà utilisée par la ville dans certains quartiers.

Paris 12e. La rue Crémieux est bondée en ce dimanche après-midi. Une jeune fille vêtue d’une robe jaune prend la pose devant la façade vert clair de l’immeuble. Debout. Assis. En équilibre sur une jambe. Elle enchaîne les postures tandis que sa pote la prend en photo. Sûrement pour son Insta. Car cette petite voie piétonne située à deux pas de la Gare de Lyon est devenue le repère des utilisateurs du réseau social devant des habitants dépités. « Ce n’est plus acceptable. On est devenu des bêtes de foires. Cela ne peut pas perdurer », s’insurge la présidente de l’association Rue Crémieux qui souhaite rester anonyme. Elle poursuit toujours aussi agacée : « Des gens nous insultent dans la rue, c’est grave. Nous souhaitons qu’ils respectent notre propriété. Ce n’est plus le cas ».

L’assoc’ a demandé à la mairie d’installer deux grilles de chaque côté de la rue qui seraient fermées les soirs et le dimanche. La mairie n’a pas encore donné son accord. Au départ, certains riverains souhaitaient la privatisation totale de la voie. Ces différentes options sont-elles réalisables ? Quelles sont les démarches à entreprendre ? On vous explique tout.

1055 voies privées à Paris

Selon la ville de Paris, il existe aujourd’hui 1055 voies privées dans la capitale. L’économiste tendance libérale Bertrand Lemennicier en avait comptabilisé 780 dans les années 90 pour écrire son article La privatisation des rues publié dans le Journal des Economistes et des Etudes Humaines. « Cette augmentation est sûrement due à la rénovation et l’agrandissement d’ensembles déjà privés », suppose le chercheur qui milite pour la privatisation des rues.

Dans le 9e, l’avenue Frochot, à deux pas du métro Pigalle, est par exemple privée. Dans le 16e, ce sont des quartiers entiers qui sont fermés au public comme la villa Montmorency. Située sur une butte du quartier d’Auteuil, elle renferme de nombreuses personnalités comme l’ancien pensionnaire de l’Elysée Nicolas Sarkozy. « Il existe beaucoup plus de rues privées qu’on ne le croit. Pour les habitants, la privatisation est un gage de tranquillité et de sécurité. Les jeunes de lycée ne viennent plus se droguer sous leurs fenêtres », souligne l’économiste.

Pour la ville de Paris : « Il n’est pas possible de privatiser une rue ». Les voies privées qui existent sont l’héritage de quartiers privés et de programmes immobiliers du XIXe siècle. Elles sont ouvertes ou fermées au public selon le bien vouloir des copropriétaires. C’est le cas du passage Sainte Avoye. Située au coeur du Marais, pas très loin du Café de la gare, cette petite ruelle en pavée était ouverte au public jusqu’en 2012. Depuis, une barrière avec digicode a été installée par les syndics.

Des alternatives à la privatisation

En réalité, la privatisation d’une rue est possible. « Une voie publique appartenant à la commune peut être privatisée, assure Nicolas Bodson, avocat en droit public. Il faut la déclasser, c’est à dire la faire passer dans le domaine privé de la commune qui ensuite peut la vendre ». Cette décision doit être validée en conseil municipal. Et c’est là le hic pour les défenseurs de la privatisation. Plusieurs groupes au conseil de Paris sont contre. C’est le cas notamment des écolos et des cocos. « Nous sommes contre la privatisation mais pour la piétonisation », répondent les élus verts tel un slogan de manif.  C’est pourquoi les riverains de la rue Crémieux ont abandonné le projet.

La piétonisation est une forme de privatisation pour certains. Rue des Coutures-Saint-Gervais dans le 3e. Depuis mai 2018, cette petite rue publique située le long du musée Pablo Picasso et du square Léonor Fini est fermée par des barrières le vendredi après-midi. Elle se transforme en aire de jeux pour les gosses du quartier entre 15 et 19 heures pendant la période scolaire. Cette décision a été prise à la suite d’un projet porté par l’Association culturelle et sportive des Quatre Fils, un groupe de parents d’élève de l’école du même nom, dans le cadre du budget participatif 2015 de la ville. Au grand regret des galeristes présents dans la rue. « La mairie a privatisé la voie, insiste la propriétaire de galerie Dominique Fiat. Des tapis de sol sont installés devant nos vitrines pour que les enfants puissent jouer. C’est bien qu’ils s’amusent mais pourquoi ne pas installer ces jeux dans le square juste à côté ? »

La conséquence pour ces commerçants ? « Nous n’avons plus de clients le vendredi après-midi, se désole Dominique Fiat. Deux collègues ont déjà fermé boutique et quitté la rue depuis que les barrières ont été installées. Moi-même j’hésite à m’en aller… » 

La mairie souhaite laisser cette rue piétonne le vendredi après-midi. Un porte-parole explique : « Cela fait partie de notre politique écologique. La piétonnisation permet de limiter le nombre de véhicules qui circulent dans Paris. Ce n’est pas une forme de privatisation, les piétons peuvent circuler librement ».

Antoine Mahut

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3 réflexions sur “La privatisation des rues à Paris pose de nombreuses questions

  1. Excellent article.
    Vous pourriez rajouter une annexe sur certains « passages » parisiens, devenus propriétés privées, comme par exemple le « Passage du désir » (ô paradoxe !) dans le 10ème, obturé de chaque côté de la rue où il démarre et aboutit par une grille avec code réservé aux habitants du lieu… 😉

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