C’est une première en France. La ville de Paris propose une grande rétrospective consacrée au peintre britannique Walter Sickert au Petit Palais jusqu’au 29 janvier. Connu outre-Manche, il était temps de lui rendre hommage, ici en France, tant il a tissé un lien particulier avec l’Hexagone pendant toute sa carrière. À Paris tout d’abord où il vient s’installer au début de sa carrière en 1883. Il rencontre Edgar Degas qui lui prodigue des conseils de peinture et qui, petit à petit, devient son maître à peindre. À Dieppe ensuite où il habite à partir de 1898. Fasciné par la cathédrale Saint-Jacques, il la peint à chaque heure de la journée quand il n’est pas au bord de mer pour rendre compte de la plage, de l’horizon bleuté qui se mélange avec le bleu-vert de l’eau normande.
L’exposition est riche en œuvres. Elle aborde différentes périodes de sa vie, classée par thème et par époque. Sickert le portraitiste avec de nombreux autoportraits tous plus sombres les uns que les autres. Le peintre ne dévoile jamais son visage en entier, laissant un mystère autour de sa propre image. Il peint des prostituées, des hommes riches qui le payent grassement pour ça, mais aussi ses amies parmi lesquelles la peintre Cicely Hey qu’il enlaidit jusqu’à la faire passer pour un monstre. C’est aussi le Sickert amoureux des paysages de la côte normande et de Venise que l’on découvre, lui qui a séjourné plusieurs fois dans la ville italienne.
Mais ce qui fait peut-être la renommée de Walter Sickert est sa période music-hall. Considéré comme un lieu mal famé dans le Londres de la fin du XIXe siècle, le music-hall n’a jamais attiré les peintres. Lui s’en empare et réalise des centaines d’œuvres. Pour transgresser les règles. Pour provoquer. Il s’attache beaucoup plus aux spectateurs qu’aux artistes et joue avec les miroirs pour nous tromper. Comme dans cette toile intitulée sobrement Le music hall dans laquelle Sickert ne peint pas directement cette chanteuse en robe rouge sur la scène, mais son reflet dans le miroir de la salle. Les spectateurs de profil au premier plan qui regardent la chanteuse nous permettent de comprendre cette mise en scène.
L’exposition n’aborde pas frontalement la question centrale autour de la vie du peintre : Walter Sickert est-il aussi Jack l’Eventreur ? Le célèbre tueur en série a assassiné cinq femmes entre septembre et octobre 1888 dans le quartier de Whitechapel à Londres. Sickert s’intéresse à ces faits-divers et va même jusqu’à peindre La chambre à coucher de Jack L’Eventreur en 1907. Les soupçons demeurent lorsque la même année, Emily Dimmock, une prostituée de 21 ans est retrouvée morte à son domicile dans le quartier de Camden Town. Jack l’Eventreur est-il de retour ? Personne ne sait mais cette sombre histoire inspire le peintre britannique qui va faire une série de quatre tableaux dit « des meurtres de Camden Town » exposés au Petit Palais. Il n’en faut pas plus pour que l’écrivaine américaine Patricia Cornwell, au début des années 2000, accuse Sickert d’être le meurtrier d’Emily Dimmock et donc Jack l’Eventreur lui-même. Une thèse développée dans son livre Jack l’Eventreur, affaire classée, portrait d’un tueur qui a depuis été largement critiquée par de nombreux spécialistes.
Walter Sickert finit sa vie de peintre en se lançant dans un tout autre style : prendre des illustrations, principalement des photographies de presse ou de publicité, pour en faire des tableaux. Les critiques de l’époque crient au plagiat. Walter Sickert, lui, s’impose en maître de la transgression.
Antoine Normand
« Walter Sickert. Peindre et transgresser », à découvrir au Petit Palais, jusqu’au 29 janvier.